L'avènement de la démocratie (Tome 1) - La révolution moderne by Marcel Gauchet

L'avènement de la démocratie (Tome 1) - La révolution moderne by Marcel Gauchet

Auteur:Marcel Gauchet
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2014-06-14T16:00:00+00:00


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1. Abbé de SAINT-PIERRE, Projet pour perfectionner le gouvernement des États. Ouvrages de Politique, Rotterdam, 1733, t. III, pp. 203-204.

2. Jeremy BENTHAM, Fragment sur le gouvernement [1776], trad. fr., Paris, L.G.D.J., 1996, p. 87.

Chapitre V

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

OU LE CHOC DU POLITIQUE

ET DU DROIT

1789 éclate au point culminant de l’alliance du progrès et du droit. Un âge de Lumières demande d’en finir avec le chaos des abus et de fonder en raison l’organisation politique du royaume. En dépit de l’ampleur du dessein, nul ne voit la rupture arriver. C’est que la coopération mystique du royaume et du roi marche à plein. Non seulement personne ne songe à s’en prendre de front à l’autorité du monarque, mais tous entendent au contraire la conforter en lui rendant sa véritable destination. Il s’agit d’en établir les justes bases et les exactes limites. Une fois qu’elle aura été mise au service des droits de la nation, sa force ne pourra être que salutaire. J’ai expliqué ailleurs ce qui rend la situation « rousseauiste »1. Entre ce besoin de maîtriser l’autorité royale, sans la briser, et la nécessité de constituer la souveraineté nationale, l’Assemblée nationale constituante retrouve, sans avoir besoin d’y penser, la démarche tant explicite qu’implicite du Contrat social. C’est par le biais du droit, c’est par la voie des fondements que va s’insinuer la subversion radicale de l’édifice monarchique.

L’appel aux droits de l’homme libère la contradiction intime de l’absolutisme. Il la libère à l’insu des acteurs qui procèdent à ce recours, parce que la dissociation de la puissance publique et de l’incarnateur royal s’opère, encore une fois, sous le masque de leur essentielle union. Et il la libère d’une façon qui va la rendre incontrôlable. Il instaure une souveraineté qui va se révéler impraticable. Ce qui fait advenir l’État dans la plénitude de sa notion le rend simultanément impensable dans son effectivité. La révolution au nom du droit se transforme en épreuve des limites de la pensée du politique selon le droit.

Il s’agit de comprendre, d’un côté, pourquoi les circonstances — et non l’aveuglement programmé des acteurs — font jouer la démarche de fondation dans son extension la plus radicale et ce qui, de l’autre côté, échappe à l’entreprise, mettant ainsi en lumière les bornes constitutives du contractualisme. Le dévoilement de ce hiatus est proprement ce qui confère à la Révolution française sa portée d’événement philosophique, en sus de sa signification politique. Elle clôt une époque de la pensée en en montrant l’impasse, tout en en consacrant par ailleurs les acquis — formidable équivoque avec laquelle la postérité aura à se dépêtrer dans la douleur.

La voie fondationnelle est la seule qui s’ouvre devant une Assemblée à la légalité précaire, qui entend donner une constitution à la France sans avoir été mandatée pour ce faire. Il n’y a que dans le droit primordial des membres de la nation qu’elle peut trouver la source de légitimité dont elle a besoin. Seuls ces premiers principes avoués de tous sont en mesure de fournir un instrument



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